Ce n’est pas une chaîne.
Ce n’est même pas une laisse.
C’est une amarre, peut-être, souplement nouée. Il peut bouger, il peut s’éloigner, il peut explorer. Mais il reviendra à quai. Toujours. Ce n’est pas vraiment un choix, pas non plus une contrainte. C’est juste comme ça, tu sais ?
Et puis tu grattes, tu regardes mieux à travers la peau. Les cicatrices, ici, le cuir là. La blessure. Le bateau ébréché, et il faut tenir, garder la tête hors de l’eau, avancer, être fort. Rassurant. Fiable. Alors il reste le dos droit. Les épaules solides. Mâle. Hétéro. Cisgenre. De bonne famille. Sur le navire de la normalité.
Il baisse un instant les yeux. Les larmes qu’on ravale. L’envie d’une plus grande liberté, d’une vie plus audacieuse, d’une aventure plus imprévisible. Explorer une île, nager nu dans la mer. La petite folie, l’inconséquence, qui m’en voudra de vivre un peu ? Le tout petit roulis, pour avancer droit. Mais un nuage passe, et le ciel est tourmenté. Dans un fracas terrible, le tonnerre, l’orage. Il est Ulysse dans la tempête. Il s’est levé contre le vent, a changé le rythme du temps, a goûté l’éclair au creux des côtes, la lumière bleue qui recolore le monde.
Il a essayé.
Mais il y a l’amarre, le quai, le dos droit, tu sais ?
Le nuage est passé.
La lumière n’est plus la même.
Le décor a changé.
Il y a une petite cicatrice de plus, sur les côtes.
La pluie s’est arrêtée.
Il reste assis, sur sa chaise.
C’était doux de rêver un instant, à la fleur de l’ombre.