La femme aux cheveux courts ? Je l’ai reçue, oui, plusieurs jours d’affilée. Elle m’a raconté sa vie, ses fantaisies, ses rêves oubliés. C’est mon métier : j’écoute les gens parler. Quand ils en ont envie, je leur prête mon corps, pour qu’ils s’y oublient. Quand entre mes cuisses elle a demandé à goûter mon bouton mandarine, je n’ai pas osé. Elle était belle, sûre d’elle, magnifique. Imaginer sa langue fantaisie courir dans les replis de mes lèvres, ses doigts plongés dans mon velours sombre, mon souffle court et la pénombre, c’était un supplice. Quand je suis rentrée chez moi, pas fière, le coeur un peu froid, j’ai glissé la main entre mes jambes, les doigts dans la fente, j’ai fermé les yeux, j’ai caressé, joui un peu, de ces petites jouissances qui nous laissent honteux.
L’homme sur le quai de train, c’est une autre histoire. Il a parlé longtemps, longtemps. Bizarrement, quand il souriait, ses yeux ne disaient pas l’envie. J’ai regardé sa silhouette disparaître, le reflet dans la fenêtre, et cet immense chagrin au goût de regret, le souvenir de sa main qui frôlait mes genoux serrés. Plutôt que nuit tendre, je lui ai volé un stupide baiser. Au soir, seule, dans ma chambre, je me suis soulagée. Mimant les baisers, caressant les seins, j’ai tenté d’apaiser, mais la fièvre était grande, il fallait le doigt, la main, et les convulsions lentes. Seule, oui.
Puis, il y a eu l’homme aux rêves tendres. Il était doux comme l’âme, et son sexe… On aurait dit de la soie. Il m’a confié le temps, qui a rongé ses amours, les improbables murmures déposés dans la nuit, au corps à ses côtés. Avec lui, j’ai oublié mes incendies, j’ai croisé les jambes sur mon plaisir, et enterré plus loin que les morts le désir et la faim.
Parfois même, je me perdais dans la foule, et j’observais les corps jouissants. Alors je n’avais pas assez de mes yeux pour goûter les amants. Mes mains tentées effleuraient la chair, ma bouche vorace se contentait de l’air, quand les râles et les soupirs racontaient la nuit. Un homme a frôlé mon sein, et la soie sur mes reins est devenue moite comme le fruit. Je regardais les amants emboîtés, les voyages en extase, les hypnotiques évasions. Quand un jeune homme délicat a proposé sa bouche, j’ai choisi le taxi, et le vent entre mes cuisses.
Je suis cette femme, le silence, les yeux, l’appétit du monde. Je rencontre l’envie, la salue et m’enfuis.
Jamais je n’avais eu besoin de parler. Ils se racontent, dévident leurs âmes des fantaisies cachées, des interdits malmenés, des promesses hasardeuses. J’écoute, je me tais, ils paient. Quand je rentre chez moi, je me branle d’un doigt. Non, je n’en ai pas besoin, je fais ça pour le plaisir. J’arrête quand je veux.
Puis il y a eu ce matin de plus, peut-être que c’était l’homme de trop. L’homme qui se tait.
Il est entré, m’a regardée. Il n’a rien dit. Assise, les genoux serrés, j’attendais un souffle, un début de fantaisie, un rougissement ou une envie. Rien.
Au début, il a regardé mes yeux. Longtemps, sans sourire, ni montrer les dents.
Le jour d’après, ce fût mon cou, et la naissance de mes seins. C’était gênant, ce silence innocent, c’était presque lubrique. A dire vrai, c’était troublant. J’aurais dû l’arrêter Au lieu de quoi, assise, doucement, j’ai écarté les cuisses. Presque timidement, j’ai vu son sexe bouger, sous le coton lourd. Le soir-même, je me promettais d’oser, enfin, le lendemain. Peut-être. Un jour.
Il a regardé mon ventre, pendant trois séances à peu près. Son sexe tendu sous le pantalon, le mien ému par sa discrétion. J’ai bien senti que je faiblissais, que le diable me troublait, que la nuit je rêvais, que mon corps frissonnait.
Puis ce fût mes genoux. Deux jours.
Sais-tu ce que cela fait quand un homme fixe tes genoux ? Ca chauffe, lentement. Ca te prend jusqu’au reins, et les chevilles aussi, ça transperce ta robe, tes bas, tes mains sagement posées sur les jambes. Ca te donne le rouge aux joues et, si tu ouvres enfin les cuisses, une irrésistible envie de baiser.
Alors pour une fois, j’ai eu envie, oui. J’ai eu envie d’être demain, et qu’il soit là. J’ai eu envie de parler, de toucher, et de goûter ce sexe droit. Et si enfin, et si le désir et l’extase, et si je relevais la tête comme on prend sur soi, comme une grande colère, des larmes, et l’audace des mots comme du piano, le temps qui hurle dans mon ventre, et si demain j’y mettais les doigts ?
Au petit matin, j’ai rasé mon sexe. J’aime le toucher doux et velouté du sexe lisse, et l’humide du sexe qui coulisse. Et je m’emballe, impatience, et du bout des doigts apaise l’urgence.
Il entrera, choisira la chaise juste devant moi. En silence, je prendrai sa main, brûlante, et la poserai sur ma joue. Sa bouche embrassera mon cou, me seins, mon ventre. Sans un mot, je glisserai ses doigts en moi, les lécherai. Je déboutonnerai son pantalon sage, glisserai la main autour de son sexe, je le lècherai, je l’avalerai. Quand raide marbre entre mes doigts je le guiderai, je le regarderai s’enfoncer dans ma chair. Mes hanches danseront avec indécence, tu sais ? Mon ventre humide tournera autour de son membre comme une transe, chaque à coup enfonçant son gland un cran plus loin dans le velours moite. Il doit être beau, son gland, je l’imagine presque violet. Et le jus coulera, entre les fraises écrasées de mon ventre vide et ma moiteur aux saveurs acides.
Le coeur un peu fou, les reins sensibles, genoux serrés, je m’installe. Je l’attends.
A l’heure dite, il est entré.
C’était le plus taiseux des hommes, le plus discret aussi. Son silence a plaidé sa cause, mieux que n’importe quel avocat.
Oh ! Magnifique !
Merci, Nora.