Il est des collusions d’agenda comme de l’amour : un heureux concours, ou un drame. Entre les deux, la tiédeur ennemie. Est ce bien sérieux ?
La destinée – avons-nous seulement un chemin pré-tracé ? – mettrait-elle sur ma route les corps dont mon désir a urgence ? Peut-on sincèrement croire que nous avons un alter prédestiné, qu’il serait un ou une autre moitié qui n’attendrait sagement que moi, pendant que je goûte à toutes les créatures appétissantes et salées qui illuminent mes heures de légèreté ? Y aurait-il un dieu tout-puissant qui ressemblerait à ma mère, choisissant le meilleur pour moi, et tolèrerait, tout comme maman, que je fasse quelque expérience avant de me ranger sagement, parce que c’est ainsi que ça se passe dans les bonnes familles ?
Laissez-moi rire, ou pleurer. Et baiser. Si holly godness il y a, j’opte pour une divinité intérieure, au creux de moi, une des petites femmes malicieuses d’Elif Shafak, aux aspirations diverses et fantaisistes, qu’il faudrait pour vivre sereinement, arriver à accorder avec plus de succès que ne le font les politiciens belges.
Car oui, dans le doute, je préfèrerais garder dieu en moi. Appelez-moi donc Gaïa, créatrice de mille univers, mère des dieux et féconde sans mâle. Je n’en ai pas besoin, de ce mâle. Je n’ai pas besoin d’autres dieux. Mais j’en ai envie, comme d’un café après la pasta, comme d’une petite prune après le lapin, comme de sexe après le vin.
J’ai tout mon temps, et plaisir se nourrit de chaque pas. Votre archet sur ma corde sensible, votre pluie sur mes terres arides, et je fleuris de mille couleurs, chantant l’aube et le ciel, louant la vie et la vie seule pour ces émois sans ciel. Il nous faudra des saisons, et des années entières, pour trouver le diapason, de ma résonnance à vos vibrations, vos lèvres suivant mes reins vers d’infinis désirs, ondulations indécentes et cuisses mêlées, moites et nacrées.
Cet invraisemblable univers ne tient pas la route, nous le savons. Alors je prends les rênes, effilochés de doutes. Tu sais que la route s’arrête, là plus loin. Peut-être tu préfères l’oublier, mais au fond tu le sais. Tu fais semblant de croire que la mort n’est pas une fin, pire : que la mort, ce n’est pas pour toi. Ou alors dans longtemps. Et tu connais l’histoire de Paf le chien, et de Flip Flap la girafe? Tu ne peux pas aimer Paf et rire à Flip Flap, sans te confronter à ta propre insignifiance.
Il ne suffit pas d’endurer la vie en attendant la fin. Nos plus grandes joies viennent des libertés incessibles, ces éclats, et des râles des corps jouissant en conscience, ces instants qu’aucun mot ne rend, qu’aucune règle ne peut écraser. Le plaisir. Celui que l’on donne, celui que l’on prend. Celui qui est ou celui que je rêve. Plaisir sera mon Dieu, et peut-être attendrai-je parfois sa révélation, peut-être ma route sera rude, mon corps fragile devra sublimer bien des obstacles pour toucher à la grâce. Et alors ? Je n’ai pas choisi la croix, ni le croissant. Je n’ai renoncé à rien qui ne soit un choix, une porte soigneusement fermée, un non poli ou un doigt dressé librement consenti. Si la source de ma joie est mon propre corps, est-ce que la foi est en moi, source, ou juste une incarnation en train de me jouer un tour pendable ?
Oh oui, je m’autorise tous les sophisme pour soutenir mon propos, tout comme le sexe est meilleur quand il est soutenu par une dose d’illusion. Pour certains, ce sera l’illusion de l’amour, qui fait de l’autre un pilier de nos vies, dans la case famille ou la case dieu. Pour moi, ce sera celle du désir, de l’insouciance, de la connivence ou de l’éphémère, paradis hors du monde où qui suis-je et où vais-je comptent peu, si peu, pendant une heure ou deux.
Par lassitude ou délassement, l’homme rit, et dans son rire, je goûte au soleil. Ses côtes se soulèvent, ses lèvres s’écartent, et sa voix vibre doux, comme le sable sous les doigts quand tu jouais à la plage. Il a la chaleur des siestes d’été, sa peau à deux centimètres de la mienne irradie l’envie. Entre nos ventres son sexe droit. La couronne humide dessine des gouttes sur ma peau. Ca colle. Je souris. “Laisse-moi être ton dieu, pendant un moment, veux-tu ?” Adieu pudeur, le jeu du jour sera l’audace en tout point, la sincérité légère, le parti pris de la joie. Une extra-ball de pur bonheur, en somme. Et la balle roule, roule, à travers les collines de mes terres, suivant mes fleuves et mes rivières, goûtant les fleurs, bousculant mes soleils, cosmogonie nouvelle.
Faut-il croire à tout ceci ? Tu sais que nous jouons, n’est-ce pas ?
- Réfléchir avant d’écrire : On disait que Dieu existe… ou pas.
- Lecture en cours : François De Smet, Deus casino, PUF, 2020
- Les musiques qui ont accompagné l’écriture : Stravinsky, Belle et Sebastian, Massive Attack, Tuxedomoon, Ahmad Jamal Trio, Arno, Snarky Puppy
- Merci à Camille E.@Camille_Eelen, Chiara@chiara_chiarel, Olivier Lefevre@pills_and_soap, Ana María @airdefilm
- Les mots tombés du carnet : dieu le père, bordel, et ta mère, mes nuits sont plus belles que vos jours, création, marivaudage, plaisir