Parce que novembre et les heures sombres, ma mémoire madeleine et la peau qui raconte, parce que la nuit fût froide, parce que mon corps me fait mal chaque jour un peu plus, parce que le souvenir de demain, et nos voyages rêvés, parce que le chemin, l’autoroute, le soleil rasant l’horizon et les oiseaux qui flottent dedans, parce que nous savons, parce que la mort pas loin, je me souviens, et la vie après, parce que les joies me transpercent comme les horreurs, parce que j’ai peur d’un monde dirigé par la folie et l’argent, parce que je voudrais que demain soit doux. Alors la larme du matin, la fatigue, tu sais ? Quelqu’un, quelque chose, a volé mon courage, quelqu’un a sapé mon envie, et je doute.
Il y a trop de lois, trop de règlements, trop de pouvoir, il y a trop d’interdits.
Tu crois, toi, qu’on peut se tenir droit quand tout va de travers ? Tu crois qu’on peut hurler le silence, et que quelqu’un l’entendra ?
On ne peut pas juste prendre la voiture, trouver un coin paisible, bâtir notre cabane et vivre tranquillement ? Y a-t-il un coin du globe où on peut faire ça ? Je passerai mon temps à écrire des histoires de désir, tandis que mon amant goûterait mon sexe au soleil couchant. A l’aube, nous potagerions gentiment, sans excès, de quoi nourrir et partager. De temps à autres, nous verrions les amis, accueillerions les voyageurs, ou la petite meute qui a si vite grandi. La lumière nous donnerait l’électricité juste nécessaire, et l’eau de pluie de quoi nous doucher au milieu du jour. On se moquerait gentiment des modes, comme d’une course incessante pour figer l’éphémère. On sculpterait dans le bois poli de quoi jurer gras, de quoi soupirer d’extase ou explorer l’envie. On crierait de la joie aux merveilles d’aube, au ciel vert, à l’oiseau bleu malgré tout, qui nous racontera les sourires d’autres comme nous. On serait libres dans la prairie, tu te souviens, à célébrer le plaisir sous les étoiles, peu importe les voisins, ils seraient loin, peu importe l’heure, mais ton corps et le mien.
Tu ris, je le vois, tu me crois naïve ou ridicule.
Peut-être, oui, peut-être je le suis.
Mais regarde autour de nous : on se lève à la sonnerie, on donne nos heures pour quelques sous, on tente de changer le monde en mieux, de recréer le beau, de murmurer la vie, on s’épuise à faire des courses, des achats, pour manger mal, bien, mieux, des fringues pour être plus mince ou avec plus de seins, on se torture le corps, on se torture l’âme, pour prendre sa place dans un système sans morale, pour au final assister impuissants à des horreurs, menées par des plus fous que nous, à des haines sans nom, des trumperies abrutissantes et des misères sans fond.
Ce monde-là cache le beau. Je n’en veux plus. Je ne veux même plus changer le système, je veux vivre hors de lui.
Je veux m’éveiller repue de rêves, et baiser à ma faim. Prendre des forces à l’eau et aux fruits goûtus, m’extasier autant que je peux, me nourrir de livres qui m’évadent et de ta peau nue. Je veux des jours paisibles ou fous, des paysages à l’horizon ouvert et jouir dans les bois, ne rien devoir à personne, donner librement et aimer vivre.
Et la marmotte.
« Seul celui qui, dans le bouleversement de son âme, est contraint de vivre une époque où la guerre, la violence, la tyrannie des idéologies menacent la vie même de chacun et, dans cette vie, sa substance la plus précieuse, la liberté de l’âme, peut savoir combien il faut de courage, de droiture, d’énergie, pour rester fidèle à son moi le plus profond, en ces temps où la folie s’empare des masses. Il faut d’abord avoir soi-même douté et désespéré de la raison, de la dignité de l’homme, pour pouvoir louer l’acte exemplaire de celui qui reste debout dans le chaos du monde» Stefan Zweig Montaigne