Rentrer chez soi à nuit noire. C’est l’hiver, mon amour, c’est l’hiver. La peau froide, les fesses glacées, les mains rougies et le nez pelé, corps lutte. La grande maison, le silence. Vois-tu, quand les petits sont loin, quand la meute voyage, il y a toute cette place à habiter, autant de sourires à inventer, il y a le bruit de l’eau sur les vitres. Ce n’est pas triste. C’est le goût du vide. Et le vide, c’est l’instant du désir.
Tomber la veste. Les mitaines de laine. La grande écharpe. Dégager le cou vers l’air, respirer, fort, à grandes goulées. La peau veloutée rosit. Défaire les lacets, abandonner au pied du grand escalier les talons fatigués. Au premier palier, adieu chandail et jeans. Au couloir de nuit, chemisier se déboutonne, corps revit. J’arrive à la chambre, avec ce qu’il faut de décence : cette dentelle anthracite qui vous plait tant, et cette texture nouvelle qui glisse à cuisses. Ce gris que vous aimez, plus doux que le noir, moins pute que le rouge, ce gris qui sur mon lait dessine les lignes d’aujourd’hui. Je vois dans vos yeux, parfois, quand vous cherchez la jeune fille d’autrefois, celle au corps vierge, celle d’avant les vies, d’avant les morts aussi. Ne cherchez plus, mon amour, je n’y suis plus.
Je suis aujourd’hui. Ici. Un peu hématome, un peu pâquerette. Il nous reste ces rêves, et quelques illusions. Si peu, mais c’est suffisant pour ce soir, c’est suffisant pour les jours qui nous rongent, et les nuits magnifiques. Pour exulter aux heures sombres, vous faut-il courage, mon amour… La délicatesse d’en vie emmène mon corps par –delà les confiseries légères, vers d’autres plaisirs. Le temps de cette nuit, je m’en remets à vous, totalement. Dormir un peu, en attendant votre arrivée, car le jour m’a meurtrie. Au creux du lit, retrouver la douceur, le moelleux, la chaleur juste du ventre, et votre odeur. Fermer les yeux, ivresse tendre. Songer à vos doigts, la souplesse du pianiste, qui joue son concerto sur mes reins. Rêver à votre bouche, qui voyage tête bêche avec la raison. Me souvenir de votre sexe, de ses émois, de la pâmoison du ventre, de la jouissance lente, si lente, entre le premier frisson de plaisir et les tressauts de joie. Entendre vos pas. Conditionnement du désir.