Aujourd’hui, les amants se choisissent sur téléphone. C’est pratique, vraiment. Dans l’appli Corolovers, je fais ma commande du mois : je voudrais un homme immunisé, disponible entre 11 et 13h, adepte des massages à l’hydrogel corokill saveur mandarine poivrée, qui ne veut ni faire partie de mon foyer, ni avoir d’enfant, qui dit des mots d’amour et jouit bruyamment.
En quelques secondes, les fiches correspondantes s’affichent : photo du visage, en pied, de dos, du sexe en deux positions, voix, gros plan de l’oeil pour vérifier la puce, et tatouage d’immunisation. La puce me rassure un peu : ce gadget permet en un clin d’oeil d’actualiser le statut relationnel. Il suffit de se regarder au fond des yeux , à moins de 20 cm l’un de l’autre et la puce active le contrat d’exclusivité pour un mois. Si jamais je m’approche aussi près de quelqu’un d’autre dans le mois entamé, je perdrai automatiquement 10% de mon salaire. C’est la seule garantie efficace pour ne prendre aucun risque, et l’option est comprise dans mon abonnement premium aux services de santé.
Je fais une petite sélection dans les fiches proposées. Le grand blond au sexe large est intéressant, mais pas disponible avant 6 jours. Le scientifique a une voix qui provoque immédiatement une décharge de plaisir dans mes reins. Le deal est clair : je ne cherche pas un ami mais un partenaire de sexe, qui accepte la full connexion numérique.
Comme mon amoureuse est Covid-virgin, tout comme moi, on ne peut plus se fréquenter. L’appli corolovers nous permet le sexe par procuration. On se choisit des amants, et on se regarde prendre du plaisir, à tour de rôle, via notre connexion Fibrex, ce truc génial qui te livre eau, gaz, électricité, web et data-surveillance à prix forfaitaire via un seul abonnement. Ils ont construit ça dans les années 40. Les gens n’en pouvaient plus des fils, des câbles, des antennes, des trous dans les trottoirs, des émetteurs sur les maisons… Le chantier a duré 3 ans, mais désormais tout est enterré proprement et activé à distance dans des cabines de contrôle multi-énergétique. Depuis, les trottoirs sont magnifiques, et les connexions bien meilleures. Alors l’amoureuse et moi, on en profite pour se livrer à ce drôle de candaulisme.
Jusqu’à présent, les corolovers ont toujours apprécié le deal. Faire l’amour à l’une sous le regard de l’autre, ça les excite. Malsain ? Pfff, chacun fait ce qu’il peut, dans ce monde. La limite du malsain a été franchie il y a des dizaines d’années, déjà, quand le choix du partenaire de foyer a été confié aux algorithmes. Ma défaillance génétique m’a tout simplement exclue du programme.
Cet eugénisme de mauvais goût, le Grand Pouvoir l’a vendu à nos parents comme la seule possibilité d’avenir pour le genre humain. En choisissant les individus avec la meilleure immunité génétique, et, tant qu’à faire, avec des dons et talents avérés sur plusieurs générations, on se donnait un maximum de chances de mettre au monde des enfants viro-résistants. Évidemment, ça n’a pas marché. Mais avant qu’ils ne l’admettent, des centaines d’enfants sont nés et ont grandi dans les couveuses d’état. Quand ils sont sortis dans le monde, évidemment ils ont été infectés. Alors on a lancé le programme de sauvetage de la jeunesse, et on les a placés dans des couffins de respiration. Il a fallu réouvrir les cryptes et y aménager des centres de croissance. Les parents y ont laissé leurs enfants, en espérant qu’un jour, le vaccin universel permettrait de les laisser revenir dans le monde du dehors. Ceux qui ne sont pas morts du virus ont été placés dans un coma artificiel et ont grandi sous perfusion, inconscients et incapables de marcher, manger, respirer, écouter de la musique, rire, parler, vivre vraiment. Le vaccin n’est jamais venu, et personne n’a jamais eu le coeur ou le courage de les débrancher. A chaque crise financière, quelqu’un se rappelle que des milliards sont utilisés pour ces humains qui grandissent sous terre. Mais personne du Grand Pouvoir n’a jamais reconnu que les couveuses eugénistes étaient une erreur, que les promesses ne seront pas tenues, et que les jeunes d’autrefois, aujourd’hui des trentenaires inconscients, font tout simplement partie des victimes, qu’on les considère morts ou vivants.
Aujourd’hui, plus personne ne met un enfant au monde sans mesurer le risque de cette vie supplémentaire. La femme enceinte doit prouver qu’elle a une assurance santé premium et un partenaire à domicile, qu’ils peuvent supporter le coût de l’éducation de l’enfant et sont suffisamment disponibles pour s’en occuper quand les programmes éducatifs sont organisés à domicile, et qu’ils peuvent assumer le coût d’une cellule supplémentaire, jusqu’à ce que l’enfant soit autonome. Faut-il le préciser ? Peu de gens ont les moyens. L’avortement a été totalement dépénalisé, et la stérilisation encouragée à grande échelle. Ca a permis de limiter la population mondiale, et de répartir mieux les cellules de vie : il y en a trois par kilomètre carré, au maximum. De toute façon, le maillage énergétique mondial du Fibrex limite d’office les constructions.
Tous les dix kilomètres, il y a un centre d’alimentation et de loisirs. On peut s’y rendre une fois par semaine selon le rituel consacré : test, lavage des mains, déshabillage, pulvérisation des antiviraux. Les vêtements sont interdits dans les centres, pour éviter toute contamination, et la masturbation obligatoire avant d’entrer. Une fois nu, enduit de antiviroplast de la tête aux pieds et masqué, tu peux faire ton shopping pendant 40 minutes et récupérer les colis alimentaires que tu as commandé de chez toi. Ah, on se régale, c’est vrai : ce sont d’anciens restaurateurs qui dirigent les cuisines. Quand est survenue la 8e vague, le Grand Pouvoir n’avait plus assez de liquidités pour les indemniser, et a préféré supprimer les supermarchés pour centraliser l’alimentation. Les restaurateurs se fournissent auprès des fermiers du département, désinfectent les produits, produisent des repas standardisés et les délivrent aux clients. Selon ton salaire, tu as le choix du cuisinier. Si tu es très riche, tu peux même choisir les produits utilisés, bio ou calibrés. Au final, tout le monde s’y retrouve. C’est vrai, parfois, je me damnerais pour un fromage qui pue, ou un verre de vin, mais je m’adapte, poliment. Tant que j’ai du sexe une fois par mois, je tiens.
Au centre alimentaire, quand tu as un peu de chance -ou que tu es malin-, tu peux croiser un autre humain. C’est tellement rare aujourd’hui, que les réactions physiques sont immédiates, peu importe que tu aies respecté ton planning de masturbation obligatoire. J’adore ça, moi, voir les sexes réagir au hasard des rencontres. C’est mon petit luxe : je grapille trois minutes, pour croiser le client suivant. Ca me coûte un bras en amende sur salaire, mais tant pis. On reste vivant comme on peut, tu sais.
Je ne vois jamais de corolover les jours de shopping. L’antiviroplast laisse une couche de glu désagréable au toucher. Ce mois-ci, on a choisi le mardi pour nos séances de sexe. Je réserve d’avance mon créneau Fibrex, pour que l’amoureuse puisse suivre nos ébats. Je change le décor numérique des murs : autant j’aime le blanc clinique de ma cellule, autant j’ai besoin de m’évader pour savourer la chair. Les cristaux liquides du papier peint s’adaptent en deux clics à mon envie du jour. L’amant du mois aime le cuir. Nous aurons donc un cuir sombre et grainé pour décor, avec l’option feu de bois dans la cheminée, mon trick d’automne. J’adore entendre le bois qui craque, ça estompe celui de mes os. Avec le cuir, je choisis un mix d’opéra contemporain et d’électro industrielle typique du siècle passé. Les enceintes incrustées au ras du sol diffusent un son incroyable, qui te rentre dans la tête et submerge les pensées. Le hamster dans le cerveau s’arrête : c’est parfait pour le sexe.
L’amant du mois, jour 28, est un habitué des lieux, déjà. Il arrive en tenue réglementaire. J’exige le costume trois pièces, vestige d’une époque où la peau était érotique. J’adore profiter lentement du déshabillage de l’amant. Je sais que l’amoureuse n’en perd pas une miette. Elle se connecte d’un clin d’oeil via sa puce et peut suivre ma vie au travers des murs connectés, comme si elle était là. Je sais qu’elle ne regarde pas tout, cela rend le jeu plus trouble encore. Nous rejoindra-t-elle un instant ?
Mon corolover, en gilet d’homme et sexe droit, a un charme tout particulier. Je me félicite chaque fois d’avoir choisi un homme dont je ne parle pas la langue. Peu importe ce qu’il murmure, je fais ma propre traduction, et lui prête des vertus entre discours solaire et intelligence lubrique. La main fine mais la poigne vigoureuse, il réagit à toutes mes provocations. Je ris, je rougis, j’ai faim. Je le regarde tenter de calmer son érection impatiente . Le sol chauffant devient terrain de jeu, la chemise par-ci, le pantalon par-là. Sous le coton, un sexe au parfum d’agrumes, promesse de bien des joies. Tandis qu’il m’attrape par les cuisses, ma fente velours cherche le gland, s’éloigne pour mieux revenir, taquine, tente et provoque, jusqu’à l’éclat salé.
Comme l’amant enfonce son sexe dans le mien, le plafond s’éclaire. Je vois le visage de ma douce, son regard malicieux, ce rouge aux joues qui lui vient avec le plaisir. Tandis que le corolover traverse l’extase avec force grognements, la rosace pulsatile et le sexe jaillissant, je me noie dans les yeux d’une femme au corps fragile.
Demain, il sera temps pour un nouvel amant. Toi ?
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J’ai adoré.
Mais j’espère que cette nouvelle d’anticipation n’augure en rien notre avenir…