Les yeux fermés, je savoure encore un instant le grand silence de l’aube. La lumière des matins d’hiver me donne toujours envie de sexe. Les draps de soie provoquent ma peau, comme le souffle léger d’un amant. Je frissonne un peu, me roule en boule, j’attends que l’envie passe. Je ne veux pas retrouver le monde tout de suite.
Dans le lit, à mes côtés, le vieil amant, sa mèche rebelle, et son sexe covidé. Il a survécu. Et comme 26% des hommes qui ont survécu, il affiche désormais une érection permanente, dont aucun plaisir ne vient à bout. Il se couche comme il se lève, le gland rose et la hampe raide.
D’autres ont eu moins de chances : on ne compte plus les cas d’allergie radicale qui se sont déclenchés après six mois de traitement antiviral, surtout chez les amateurs de bières et de chocolat. C’est à tel point que les camions d’approvisionnement à domicile ont désormais un large rayon “alimentation neutre” avec 5 sortes de riz ogm antiallergénique, et autant de dérivés de soja aromatisé. S’ils suivent ce régime strictement, les covidés alimentaires peuvent de temps en temps s’offrir une pomme en extra, sans la peau bien sûr.
Les camions d’approvisionnement à domicile ont sauvé mon quotidien. Quand les magasins ont fermé, les cafés, les cantines et même les cuisines collectives à emporter, ceux qui n’ont pas de jardin ont vraiment eu faim. Mais les Trois Sages du Grand Pouvoir ont trouvé des solutions pour chaque difficulté : livraison des repas ou des matières premières, épices comprises, cave à vin communautaire, apéro à domicile le samedi…
On ne peut pas vraiment se plaindre : on ne manque de rien. Tout est aseptisé, conditionné en plastique de maïs, que l’on peut ensuite utiliser pour le poêle à déchets, bien précieux les soirs d’hiver. J’adore l’odeur du maïs qui brûle. Vu qu’il n’y a plus vraiment de forêts, ravagées par la construction massive de masques en papier, on se chauffe plus souvent aux poubelles qu’aux pellets.
La petite odeur de caramel que dégage le plastique de maïs me rappelle le temps où le sucre était autorisé, avant 2024. Les chercheurs liégeois avaient découvert, cette année-là, que le covid se reproduisait grâce au sucre présent dans le corps humain. Pire : il pouvait enclencher un processus terrifiant de transformation de la graisse en sucre, et en sortir tellement contagieux que des familles entières ont été décimées par la seule présence chez eux d’un corps moelleux.
Les Trois Sages ont pris les choses en main : désucrement des fruits par ogm, rationnement du cacao, interdiction des cultures de betteraves. Aujourd’hui, pour avoir droit au mojito du samedi, il faut présenter son bulletin alimentaire du mois. C’est rude. Les corps se sont affinés, les gens sont devenus de plus en plus semblables. Il a fallu repenser toute l’industrie textile, la médecine et la presse féminine normative. Cela a créé de l’emploi et calmé les esprits.
Bien sûr, pour éviter toute rébellion liée à la frustration, on a remplacé le plaisir du sucre par des récompenses alternatives. Chacun a reçu un bon pour recevoir le jouet sexuel de son choix. Désormais, après le repas, on a le droit à cinq minutes de stimulation clitoridienne ou prostatique pour accompagner son café. Je le prendrai noir, forcément sans sucre. Merci.
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