Des mots au livre

Un jour, tu te dis que tous ces textes, ces mots d’envie, qui ont mûri dans ton ventre, entre tes seins, la nuit, tu aimerais bien leur donner corps, matière à toucher, papier. Et on te glisse, de ci de là, des « As-tu déjà publié ? », des « C’est bon ce que tu fais, vas-y ». Tu lis devant des gens, ils demandent pour acheter, tu dis c’est cadeau, c’est gratuit, c’est mon blog… Mais non, ils veulent toucher. Alors tu tries, tu relis, tu réécris, tu sélectionnes, tu compiles, tu mûris, et tu prépares un manuscrit.

Enfin, c’est ce que moi j’ai fait.

J’ai choisi neuf maisons d’édition. Sur leur nom, ou leur renommée. Parce que je suis comme ça, affinités électives… Je suis partie à Paris, mes dossiers sous le bras, pour envoyer moi-même, à moindre coût, mes livres de livres. Parmi ceux qui ont répondu à mon envoi, il y a eu « Nous sommes désolés, mais votre manuscrit n’a pas été retenu par notre Comité de lecture » et puis ceux-là, qui ont trouvé mes mots trop sages. Et celle-ci, qui me remercie mais refuse mon manuscrit « Les ailes de l’ange ». Le titre de mon manuscrit était « Hurler des fleurs ». J’ai fait la chipie, je lui ai répondu. Un long silence s’ensuivit, qu’elle n’a jamais rompu.

A côté de cela, j’ai vu les lecteurs affluer sur mon blog, et bien sûr, parfois, j’ai cédé à la facilité

A la fin de l’hiver, entre trois voyages de mots, un aller-retour en lumière et mille doutes, un gazouilleur met sur ma route une plateforme de publication en ligne à compte de lecteur. Le principe est simple : les lecteurs achètent leur livre avant impression. Si le quota minimum est atteint, le livre est imprimé et expédié. Sinon… et bien rien ! Ils sont remboursés, et l’auteur s’en repart le cœur un peu lourd, empli de doute sur son talent, ou de rancœur envers la plateforme, ou de mépris envers ce monde injuste qui n’a rien compris à son art. Pardon, je caricature, mais à peine.

Un jour de printemps, je me suis lancée. J’ai appelé, réfléchi un peu, et décidé de tenter l’aventure. Avec le nombre de followers sur twitter, les statistiques de visites de mon blog, les retours de mes relecteurs avant envoi, je pensais raisonnable d’espérer vendre 70 livres. C’est peu, c’est modeste, c’est même tout sauf ambitieux, non ? Non.

Les premiers contacts avec la plateforme, avant mise en ligne, sont encourageants, agréables. Et déroutants : je n’existe qu’au soir venu, je ne réponds qu’après 18h, et Paris assure… Mais le jour, je fuis, la vie m’oblige ailleurs. Nous arrivons pourtant à nous entendre, et après quelques essais pour la couverture (9 versions, mais pardon, je sais ce que je veux…), la souscription est lancée, pour deux mois.

Première difficulté : j’écris sous pseudo. Ce qui rend difficile l’activation des réseaux privés. Mais je suis confiante… Je commence gentiment, sur le blog, sur les réseaux sociaux. Les ventes démarrent un peu. Car ne nous trompons pas : souscription à compte de lecteur, ça veut dire « vente ». Ni plus, ni moins.Et là, deuxième difficulté : je ne suis pas commerciale pour deux sous. Je ne sais pas vendre mes mots, j’ai très vite l’impression de ME vendre, d’emmerder tout le monde avec mes projets, de quémander attention et charité. Mes failles personnelles, mais soit, passons.

Alors j’ai été confrontée au silence, au vide, au doute. Une fois la souscription lancée, je n’ai plus eu de nouvelles de la plateforme. Un contact téléphonique sur deux mois. Des retweets. C’est tout.

Les premières semaines passent vite, mon travail exige toute mon attention. Je n’ai que le soir pour suivre, au début avec désinvolture, puis progressivement avec une légère angoisse, l’évolution des chiffres.10, très vite. Puis 20. Et puis ? Plateau. Doute. Cette édition est un faux : il n’y a pas eu de sélection de mon travail autre que la mienne, validée par des amis compétents, parfois honnêtes, parfois trop gentils. Mais aucun éditeur ne m’a dit « Votre travail mérite d‘être édité, je crois en vous, je souhaite vous publier ». 

Et les jours passent. Quand un lecteur nouveau arrive, je souris, j’ai cette impulsion de joie. Quand durant deux, trois jours, rien ne bouge, je me dis que je n’y arriverai pas. Je regarde les auteurs autour de moi : nombreux ceux qui ont entièrement financé leur propre ouvrage. Dans un autre domaine, un ami publie avec un succès fulgurant sa première œuvre, Manesh, et collectionne les critiques exaltées. Je suis contente pour lui, et un peu jalouse. Par ailleurs, un “blogueur influent”, qui a lui aussi tenté l’expérience sur cette plateforme, n’a pas transformé l’essai. Or c’est me semble-t-il un auteur à grande capacité de mobilisation, reconnu et soutenu largement.


Et puis encore… violence. Voilà un concours de nouvelles, et que vois-je ? Un de mes textes a visiblement inspiré quelqu’un, qui propose une réécriture à sa mode. Je me sens trahie, j’enrage. J’essaie de rationaliser. Si la charmille copie, sans même s’en cacher, c’est que tout de même, il y a un intérêt ? Mais le lendemain, je doute plus encore, car si mon verbe est si commun, si ma prose est si imitable, où donc est la richesse de mes écrits ?

Je pense arrêter tout. Ne plus écrire. Ne même plus bloguer. Me satisfaire de ma vie RL sans plus de prétention fantaisiste. Se contenter de dire les mots des autres, et d’écrire l’ordinaire. Je doute. J’angoisse. Je compense. Je mange de la glace en ronchonnant, égotique crisette.

Et puis des soutiens arrivent, généreux lecteurs, désinformateur, femme lumière. Les chiffres s’envolent. Le quota est presque atteint, je doute moins, mais la leçon est rude. Je secoue mes fesses, écris à la presse. Un journaliste, Sudpresse, délicat et complice, m’offre un peu de lumière, douceur. Ma mère découvre mes mots, m’offre, elle, des livres de couture japonaise. Une façon de me dire de faire autre chose ? D’autres qui s’étaient engagés à relayer, à soutenir, à motiver, ne font rien, pris par la vie, ailleurs. 


Si tu veux goûter au parfum de la solitude, c’est sûr : tente l’expérience. A moins bien sûr, d’avoir cette certitude que tous ces gens qui aiment te lire gratuitement, seront prêts à acheter ton livre, pour te remercier du temps offert, ou pour la saveur du papier, pour l’inédit glissé en page 150 ou pour foutredieu sait quelle raison.

Dans mon cas, le quota a été atteint. J’ai acheté quelques ouvrages, un pour moi, d’autres pour mes amis belges qui ne pouvaient commander : il faut savoir que si le prix était tous frais compris en France, chaque ouvrage coûtait 3 euros de plus dans mon pays. Et que la production ne prévoyait même pas un ouvrage pour l’auteur. J’ai d’ailleurs dû attendre longtemps, avant de voir l’objet. J’ai été déçue.

Une fois le quota atteint, la pression redescend. Mais il n’y a pas de joie. Car finalement, tout cela est un peu faux. Mes mots sont trop sages pour le porn, et trop osés pour la littérature. Je suis une blogueuse avec quelques abonnés. Je suis auteure oui, mais pas écrivain. Je me paie un superbe syndrome de l’imposteur, et une belle crise d’ego. J’ai gagné un bon gratuit pour un régime, la faute à mes faiblesses, aux chocolats des larmes et aux vin de la victoire. Louve humaine et fragile. J’ai été confrontée à des déceptions humaines irréversibles, à commencer par moi-même, et de belles fidélités.

Un jour, derrière un piano, une amie au clavier, un texte à la main, j’ai retrouvé l’envie de créer, et de porter à visage ouvert mon travail de création. Mais ça, c’est une autre histoire.

Cette histoire-ci finit bien, pourriez-vous dire. Oui. Elle fût tout sauf une partie de plaisir.

Les mots tombés du lit : livre, ego, doute, être écrivain sans papier  

3 commentaires sur “3”

  1. Je crois que l’étape la plus dur pour un écrivain, c’est bien de trouver des maisons d’éditions preneuses… Tu as été bien courageuse de publié sans l’aide de quiconque! Et en ce moment, ça doit être super d’avoir entre tes mains, tes mots sur du papier…

  2. Oh, ma chère Nora… Je ne savais pas que mes notes au piano avait eu cet effet- là… ça me touche vraiment. A très vite pour nos aventures complices, littéraires et musicales. Je vous embrasse.

  3. Alors oui, je voulais prendre le temps de commenter ; forcément avec mon regard de blogueur ayant la prétention d’écrire des textes dignes d’intérêt… Plusieurs fois, on a loué ma plume, mais jamais on n’est venu me proposer la publication. J’ai d’ailleurs toujours évité avec soin tout ce qui pouvait être ouvrage collectif, concours de nouvelles, etc., parce que j’ai envie que mon écriture reste ce qu’elle est : quelque chose de libre et sans contrainte. Quelque chose qui satisfasse le seul responsable de publication, leur seul spécialiste éditorial dont j’ai envie de tenir compte pour l’heure : moi 😉

    Se confronter à la tentative d’édition, c’est certainement une sacrée épreuve pour l’ego. On met tellement de soi dans nos mots (et vous certainement plus encore que moi, Nora) que les voir écartés d’un revers de la main par des personnes qui lisent les manuscrits au km, on peut toujours se dire qu’ils n’ont pas eu le temps de percevoir ceux qu’ils avaient d’uniques mais l’orgueil doit être écorné.
    Et puis vous, Nora, vous avez vraiment une écriture particulière dans laquelle on ne rentre pas facilement ; entre la poésie et la prose, quelque chose d’unique.
    C’est pourquoi, quand vous aviez parlé, sur Twitter, du plagiat dont vous aviez été victime et qui vous touchait temps (merci de donner ici un complément d’information), je me disais que vous étiez implagiable, déjà, et je pensais de vos mots comme de mon écriture : on peut bien les voler, on ne peut pas me voler moi.
    Dernière chose que je voulais commenter, cet écart entre ceux qui, si j’ai bien compris, vous poussaient à publier et ceux qui, au pied du mur, achètent effectivement l’ouvrage, ça aussi, ça doit être assez décevant sur notre nature humaine ; nous ne sommes pas nombreux à honorer toutes les promesses que nous faisons (et je ne prétends pas en faire partie !).

    Bon courage pour la suite, en tout cas !

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